Obrazy na stronie
PDF
ePub
[merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

ÉGLISE ROMANE DE SAINT-HONORAT DES ALISCAMPS, PRÈS D'ARLES. - Élevée sur l'emplacement du champ de bataille légendaire.

germé; et sans doute est-ce sur cette légende que sont venues fleurir à leur tour les autres légendes de la geste, celles des pères et des aïeux, la légende d'Aymeri, la légende de Garin, celles aussi des fils et des petits-fils, la légende de Vivien, la légende de Fouque de Candie. Certainement, en tout cas, c'est Guillaume qui domine la Geste de Monglane, comme Charlemagne domine la Geste du Roi. C'est son entrée en scène que préparent douze chansons, ce sont ses exploits que tant d'autres chansons exaltent.

La plus ancienne que nous ayons, la Chanson de Guillaume, dont la chanson des Aliscans n'est qu'un rajeunissement, est d'une simplicité fruste, mais puissante.

Elle commence par le récit d'une bataille douloureuse, où un faible parti de chrétiens, commandé par Vivien, neveu et fils adoptif de Guillaume, lutte contre une armée sarrasine dans la plaine de Larchamp (ou des Aliscamps, près d'Arles).

Dès le début de l'action, Vivien aurait souhaité près de lui celui que jamais on n'appelle en vain, son oncle Guillaume. Il a conseillé à ses compagnons de le mander :

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Mais Guillaume est au loin, il ignore le péril des siens. Vivien combat seul, avec une petite troupe de vaillants: naguère, au jour où il a été armé chevalier devant Guillaume et le lignage assemblé des Narbonnais, il a fait le serment de ne jamais fuir de la longueur d'un arpent devant l'ennemi. Il fait donc avec ses compagnons de belles chevaleries: mais le nombre les accable. Alors, quand leurs forces déclinent, il dépêche vers son père d'adoption son cousin, « l'enfant >> Girard, qui a tant peiné déjà dans la bataille. Le jeune messager va, épuisé, à demi mort de faim et de soif. Il chevauche vers le château lointain de Guillaume. Son cheval crève sous lui. Il va toujours.

Dunc li comencent ses armes a peser,

Et il les prist durement a blamer.

Ohi! grosse hanste, comme peises al braz!

N'en aiderai a Vivien en Larchamp,

Qui se combat a dolerus ahan! >>

Dunc la lançat Girard en mi le champ.

«Ohi! grant targe (bouclier), comme peises al col!

N'en aiderai a Vivien a la mort ! >>

El champ la getat, si la tolid de sun dos.

«Ohi! bon healme, com m'estones la teste !

N'en aiderai a Vivien en la presse,

Ki se cumbat en Larchamp sur l'herbe ! >>

Il le lançad e jetad cuntre terre.

Il n'a gardé que son épée sanglante et marche, s'appuyant sur elle comme sur un bâton. Il arrive enfin et fait son message : « Hâtezvous, sire Guillaume! » Guillaume rassemble en hâte trente mille hommes et les entraîne vers Larchamp. Il y parvient trop tard : Vivien meurt entre ses bras. Et que peut-il lui-même

[merged small][ocr errors][merged small]

contre tant d'ennemis? Toute sa belle armée succombe. Sa femme. Guibour lui avait confié un sien neveu, un tout jeune homme, Guichard, autrefois païen comme elle et comme elle converti. L'enfant a été tué; en mourant, il a renié Dieu; et c'est avec le corps du petit renégat, qu'il porte sur son arçon, que Guillaume revient à son château. En son absence, Guibour, la vaillante, pressentant la défaite, a levé une autre armée: car elle est l'animatrice qui souvent a excité les Narbonnais à bien faire. Il repart, emmenant cette fois avec lui un jeune frère de Vivien, Guiot. Un nouveau désastre l'attend. Tous les siens maintenant sont morts, et Vivien, et Bertrand, et Guiot, et Gautier, et Guielin, et Renier; et, quand il reparaît seul, en vaincu, presque en fuyard, déguisé sous des armes sarrasines, à la porte de sa cité d'Orange, Guibour refuse de lui ouvrir : « Tu mens, tu n'es pas Guillaume, car, quand mon seigneur Guillaume revient de bataille, des barons joyeux l'environnent et des jongleurs viellent devant lui!» Elle cède enfin, lève la herse, et prosternée à ses pieds :

« Sire, dist ele, qu'as tu fait de ta gent? >>

Il lui dit la lutte inégale, le désastre, et tous deux, pleins de douleur, en silence, montent vers la grande salle du palais, où les tables sont dressées, comme naguère, pour de nombreux convives, et qui désormais restera déserte: «O bonne salle », s'écrie Guillaume, « O bone sale, cum estes lungue et lee"! 'large. De tutes parz vus vei si aornee!

[graphic]

O, haltes tables, cum vus estes levees*!
Napes de lin vei desur vus getees,

Cez escueles emplies et rasees...

N'i mangerunt les filz des franches meres Qui en Larchamp unt les testes colpees! >>

*dressées.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Elle le réconforte : il faut qu'il aille à Laon réclamer le secours du roi de France. Il part, nouvelle épreuve. Humble est son équipage, et si chétif son écuyer, un enfant, qu'il doit se charger lui-même de ses armes et qu'il ne les lui donne à porter qu'à la traversée des villes, pour faire figure honorable. A Laon, en voyant sa pauvre mine, les jeunes chevaliers de la cour, jadis accoutumés à recevoir de ses mains l'or d'Espagne, lui tournent le dos; et le roi accueille mal la demande du vaincu. Cependant, devant tant d'ingratitude, Guillaume s'indigne, il laisse déborder sa colère et obtient une armée de vingt mille chevaliers. Pour la troisième fois il revient à l'ennemi, et dans une décisive bataille, les Sarrasins sont enfin taillés en pièce.

Ainsi s'achève sur une victoire la douloureuse épopée, belle comme une passion de martyrs. La Chanson de Guillaume n'a pas la perfection littéraire de la Chanson de Roland; elle n'en a pas la noblesse égale et soutenue. Le style est dépourvu d'art; le récit est brusque, abrupt même, au point que la suite des faits n'y est pas toujours facile à saisir; parfois des scènes se répètent; on regrette aussi

[graphic][merged small][merged small][merged small]

des invraisemblances trop fortes, un mélange inattendu du tragique et du comique. Pourtant, l'idée profonde du poème, ces coups redoublés du destin qui martèlent les coeurs indomptables de Vivien, de Guibour, de Guillaume, se traduisent en des scènes d'une grande. force pathétique; et même dans celles de ces scènes qui traitent des thèmes moins sublimes, les reproches véhéments de Guillaume au roi ingrat ou les exploits étranges du géant Rainoart, on admire la puissance du souffle héroïque et cette fougue qui anime la Geste.

[graphic]

.

.

LA GESTE DE DOON DE MAYENCE

[ocr errors]

Les principales chansons de ce cycle sont: Gormond et Isembard (composé vers l'année 1130), édit. A. Bayot (Classiques français du moyen âge), 1914; - Doon de Mayence, édit. A. Pey (Anciens poètes de la France), 1859; - la Chevalerie Ogier, par Raimbert, p. p. Barrois (Romans des douze pairs), 1843; Renaud de Montauban, p. p. Tarbé, Reims, 1862, par H. Michelant (Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart), 1862, et par Ferdinand Castets, Montpellier, 1909; Raoul de Cambrai, édit. P. Meyer et A. Longnon (S. A. T.), 1882; - Girard de Roussillon, p. p. K. Hoffmann, Berlin, 1855, puis par Francisque Michel, 1856, traduit par P. Meyer, 1884.

[ocr errors]

Tous ces poèmes, sauf Raoul de Cambrai, qui paraît un peu plus ancien, ont été vraisemblablement composés pendant le troisième tiers du XIIe siècle ou les premières années du XIIIe.

Un certain nombre de chansons n'entrent pas dans la classification ci-dessus indiquée des trois grandes gestes. Les plus célèbres sont celles d'Ami et Amile, p. p. K. Hoffmann, 2e éd., 1882, et d'Aiol, p. p. J. Normand et G. Raynaud (S. A. T.), 1878.

L'ABBAYE DE SAINT-RIQUIER EN PONTHIEU, jadis fondée par Angilbert, neveu de Charlemagne, était, à l'époque féodale, riche et puissante entre les abbayes de France.

On y célébrait au neuvième jour d'octobre une fête religieuse qui attirait grande affluence de marchands, de pèlerins, de chevaliers, de menu peuple; et la foire qui se tenait à cette occasion aux portes de l'abbaye étalait ses boutiques et ses tréteaux sur un champ où l'on voit encore de nos jours la «tombe d'Isembard ». Cet Isembard, selon une tradition répandue parmi les clercs anglais et certainement connue des moines de Saint-Riquier, qui possédaient des biens importants dans le Norfolk, avait été le compagnon du roi Gormond; et Gormond était le chef de ces Scandinaves envahisseurs qui, en 881,

comment les moines l'auraient-ils oublié? - avaient cinglé d'Angleterre en France, ravagé le Ponthieu et le Vimeu, et incendié le monastère, avant d'être battus à Saucourt par le roi de France Louis III. C'est sur ces souvenirs, livrés par l'histoire, qu'a été bâtie à SaintRiquier, pour être racontée au peuple, la légende de Gormond et Isembard.

Le poème qui retrace cette légende est le plus ancien de la geste de Doon de Mayence. Il ne nous a pas été conservé en entier; mais des versions postérieures permettent d'en reconstituer le scénario. Isembard, jeune chevalier français, traité injustement par le roi Louis, et condamné à quitter le royaume, est passé en terre païenne, s'est attaché au roi Gormond, l'a suivi en Angleterre, a abjuré la foi chrétienne (d'où son surnom de Margari, le « renégat »), et a décidé son nouveau seigneur à envahir la France. Il guide la flotte et l'armée païennes vers les terres et les châteaux qui naguère étaient siens; le Ponthieu est saccagé, l'abbaye de Saint-Riquier incendiée. Mais une grande bataille est livrée par le roi Louis aux barbares, et c'est au récit de cette bataille que commence le fragment de la chanson qui est parvenu jusqu'à nous.

Gormond, après avoir semé la mort dans les rangs des Français, est abattu par Louis en personne; Isembard, ralliant les païens déconcertés par la mort de leur chef, se déchaîne et en vient, dans sa fureur, à combattre son propre père, le vieux Bernard, qu'il désarçonne; enfin, ses troupes épuisées cèdent et fuient; cruellement blessé, le renégat revient à Dieu, se recommande à Notre Dame et meurt sur le champ de bataille.

Les débris de ce poème - six cent soixante vers en un seul fragment-suffisent à donner une haute idée de l'édifice primitif. Assurément, celui qui l'a élevé connaissait des chansons antérieures : la Chanson de Roland, la Chanson de Guillaume, et il s'en est inspiré; mais, s'il avait des connaissances, il avait aussi une manière de génie. Par l'étroit conduit des petits vers de huit syllabes, dont sont faites ses laisses, son souffle s'enfle puissamment, et son personnage d'Isembard est d'une grandeur vraiment digne de l'épopée. La détresse de ce jeune baron que l'injustice du roi a poussé vers l'apostasie, sa

ÉGLISE DE SAINT-RIQUIER EN PONTHIEU (SOMME), bâtie sur l'emplacement d'une ancienne église carolingienne, qui fut le foyer de la légende de Gormond.

rancune qui lui fait machiner une invasion sacrilège, son cruel destin une fois la guerre commencée, ses exploits au service d'une cause détestable, la rencontre horrible qui lui fait lever l'épée sur son père, le mélange tumultueux de ses sentiments qui lui inspirent tout ensemble l'ardeur de se battre et le secret désir d'être vaincu, sa fureur contre la terre de France et son amour pour ces mêmes contrées qu'il foule, sa haine du roi Louis et son admiration pour lui, sa mort enfin, qui le ramène à Dieu : c'est vraiment là une magnifique invention de poète, une sublime légende d'orgueil et de pénitence, trop belle pour ne pas avoir ressuscité sous d'autres formes.

C'est en effet d'une conception analogue que procèdent plusieurs autres chansons. Des assembleurs, conscients de leur ressemblance, ont relié les personnages qui en sont les héros par des liens généalogiques d'où le nom de Geste de Doon de Mayence. Elles sont toutes consacrées à des révoltés dont les exploits inspirent à la fois l'horreur et la pitié, et que le regret de leur orgueil amène finalement à la pénitence. Ogier le Danois, ayant juré de venger son fils, tué par le fils de Charlemagne, déclare à l'empereur une guerre implacable, où il est tour à tour vainqueur et vaincu, puis, repenti, revêt à Saint-Faron de Meaux la robe bénédictine (la Chevalerie Ogier). Renaud de Montauban, injurié par Bertolai, neveu de Charlemagne, le tue, s'enfuit avec ses trois frères, et, traqué, s'obstine dans une longue rébellion, puis, venu à résipiscence, se fait le valet des maçons qui bâtissent Saint-Pierre de Cologne, et meurt en odeur de sainteté (Renaud de Montauban). - Raoul de Cambrai, déshérité du fief paternel, se rue sur le Vermandois et, jusqu'à sa mort impénitente, porte partout le fer et le feu, tandis qu'Ybert de Ribemont, son ennemi, conscient des torts qui lui reviennent dans les horreurs de cette lutte, fonde « sept monastères, monuments de son humilité, sur l'emplacement de ses sept châteaux, monuments de son orgueil >> (Raoul de Cambrai). - Girard de Roussillon, offensé par le roi Charles, lui tient tête les armes à la main, puis, après les épreuves multipliées que Dieu lui inflige, il élève à Vézelay le sanctuaire de la Madeleine et monte le sable et la chaux en haut de la colline où l'église se dressera (Girard de Roussillon). Ainsi en tous ces drames, comme dans celui de Gormond et Isembard, l'orgueil forcené prend fin dans un acte de repentance et d'humilité. Toujours

[ocr errors]

le héros de la chanson est d'abord jeté dans la violence par un tort qui n'est pas le sien; le ressentiment qu'il en éprouve, l'acharnement qu'il met à défendre son droit, déchaînent en lui la « démesure »>, qui l'affole jusqu'au jour où Dieu le courbe, repenti, sous sa main.

C'est là l'idée propre de la geste, grande idée chrétienne elle aussi, où la croix n'est plus le signe qui conduit la chevalerie à la guerre contre l'infidèle, mais l'abri qui s'offre aux violents, après que les armes ont été posées. Par cette idée les chansons de ce cycle vont rejoindre, dans une étroite parenté spirituelle, celles de la Geste du Roi et de la Geste de Garin de Monglane.

L

[merged small][ocr errors][merged small]

E XIIe siècle nous a légué une profusion de romans en vers, bien différents des chansons de geste. Les uns, dont les héros se nomment Alexandre de Macédoine ou Hector de Troie, Enée ou Étéocle, renouvellent des fictions illustres de l'antiquité gréco-latine.

D'autres forment un amas composite d'oeuvres très dissemblables: ici, les «lais », courts poèmes qui narrent de menues légendes de féerie et d'amour; là, le groupe des romans de Tristan et Iseut; là, les romans qui célèbrent le roi Artur et ses chevaliers. Si divers d'inspiration, de ton, de coloris, que soient ces poèmes, ils se déroulent tous sur un même théâtre: Cornouaille ou Galles, Irlande ou Armorique, dans la même «< Bretagne » fabuleuse; ils s'empruntent fréquemment des personnages les uns aux autres, et c'est pourquoi la terminologie de nos vieux écrivains les rassemble tous sous un même nom : contes et romans bretons.

D'autres enfin, tels que Partenopeu, Guillaume de Dole, Ipomedon, sont des romans de chevalerie analogues à ceux qui mettent en scène les chevaliers d'Artur; mais parce que le théâtre de l'action, qui n'est plus la Bretagne, change pour chacun d'eux, et parce que chacun d'eux, au rebours des romans arturiens, anime des personnages qui, leur histoire terminée, s'évanouissent aux yeux et ne reparaissent nulle part ailleurs, on peut en former une troisième catégorie, celle des romans d'aventure.

Contes et romans imités de l'Antiquité, contes et romans de Bretagne, contes et romans d'aventure: cette répartition traditionnelle s'impose nécessairement à

la critique.

Elle est sommaire, d'ailleurs, autant que nécessaire, et nous devrons bientôt distinguer à l'in

térieur de ces trois groupes maintes variétés et sous-variétés. Mais il faudra nous appliquer aussi, par un effort contraire, à montrer que, d'un groupe à l'autre, ces œuvres si diverses soutiennent entre elles certains rapports d'affinité, voire de filiation; et c'est cette ressemblance générale, cette parenté foncière, qu'il convient de mettre dès maintenant en relief. Pour la reconnaître, il suffit d'opposer tous ces romans aux chansons de geste. Le contraste est frappant. Il se marque d'abord au fait que presque tous délaissent l'antique système de versification des chansons de geste, le groupement de vers de dix ou douze syllabes en strophes monorimes. La tradition de ce système ne subsiste que dans un petit groupe de romans appartenant au cycle d'Alexandre; mais - des indices et des témoignages nombreux le prouvent

ces romans (sauf peut-être le plus ancien) ne sont plus destinés, comme les chansons de geste, à être chantés au son des vielles ils sont faits pour être lus, et c'est la destination, en

[subsumed][ocr errors]
[ocr errors]
[blocks in formation]
[ocr errors]

core plus immédiatement évidente, des romans des autres cycles: car, tous sans exception, ils emploient, au lieu des longs vers et du système strophique des chansons de geste, le mètre cher à la Musa pedestris, l'octosyllabe rimant à rimes plates. C'en est fait, du même coup, de toute la technique narrative, de toute la poétique qu'imposaient aux chanteurs de geste les conditions foraines de leur art. Leurs confrères, les romanciers, ne composent pas, comme eux, leurs ouvrages en vue de larges auditoires attroupés au hasard dans des salles de festin, ou sur des parvis d'églises, ou sur des champs de foire. Leurs romans seront lus à haute voix dans des cercles restreints. Ils écrivent pour une élite d'auditeurs choisis; et ce qu'ils peignent de préférence, ce sont des tableaux de la vie élégante, de ses cérémonies et de ses fêtes, de son luxe; ce sont les préoccupations sentimentales de ces raffinés. Comparés aux chanteurs de geste, ils sont, si l'on peut dire, des écrivains plus écrivains, plus « hommes de lettres », qui exploitent et parfois étalent, non sans une sorte de satisfaction un peu pédante, des connaissances apprises dans les écoles. Si on les oppose aux chansons de geste, tous ces romans romans du cycle antique, romans bretons, romans d'aventure composés pour des publics plus aristocratiques par des auteurs plus savants, peuvent donc être groupés sous une dénomination commune, comme les espèces d'un genre unique le roman courtois.

[ocr errors]
[ocr errors]

Sous quelles influences le genre s'est constitué Comment comprendre que se soient formés, au XIIe siècle, de tels publics, de tels auteurs? C'est qu'il se produisit alors un mouvement d'études classiques, une véritable Renaissance, aussi vive en son élan, aussi zélée, aussi ardente que la Renaissance du XVe siècle. Ce n'est pas un humaniste du XVe siècle, mais du XIIe, c'est Pierre de Blois, vers l'an 1180, qui a dit à la louange des Anciens la parole célèbre : « Nous sommes des nains hissés sur les épaules de ces géants, et si nous voyons plus loin qu'eux, c'est grâce à eux, lorsque, appliqués à lire leurs ouvrages, nous ressuscitons pour une vie nouvelle leurs pensées éminentes, que les siècles et la négligence des hommes avaient, pour ainsi dire, laissé choir dans la mort. » Entre la Loire et la Somme, rayonnaient des écoles nombreuses, les unes récemment fondées, les autres plus anciennes, mais qui n'avaient pas connu dans le passé pareille prospérité : Angers, Tours, Blois, Fleury-sur-Loire, Chartres,

[ocr errors]

Hec exercicia ave ovпdi philosophia.Inves

Ku

do-partes. + ARTE.REGENS.DIA. q

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors][merged small][ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

quen bo

plato

10hu diffpiritib mipirani febunt

arti mag

ca & poetr

fabulofa

Momental

delader

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small]
[ocr errors]

Rethorica

[ocr errors]

Lorga

ra

fica

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

LES SEPT ARTS LIBÉRAUX. D'après l'Hortus Deliciarum de la religieuse alsacienne Herrade de Landsberg, abbesse de Sainte-Odile (fin du XIIe siècle).

Beauvais, Laon, Reims, Orléans, Paris. Des provinces lointaines ou des pays étrangers, des étudiants y venaient en foule s'initier aux Sept arts, aux arts du trivium, grammaire, rhétorique, dialectique, qui formaient le cycle des études littéraires; aux arts du quadrivium, arithmétique, musique, géométrie, astronomie, qui formaient le cycle des études scientifiques.

Le vaste programme du trivium comportait surtout l'étude des écrivains de l'Antiquité profane, que, par une ellipse significative, on appelait tout court les auteurs ». Nulle part on ne les étudiait mieux qu'à Orléans, qui devint aussi célèbre comme école de poésie que Salerne comme école de médecine, que Bologne comme école de droit, que Paris comme école de philosophie. Mais la flamme qui brûlait à ce foyer gagna toute la France. Les nombreuses copies d'ouvrages antiques qui furent exécutées au XIIe siècle, les commentaires d'auteurs latins qui se multiplièrent alors, l'œuvre toute pénétrée d'humanisme d'un prosateur comme Jean de Salisbury, d'un poète comme Jean de Hanville, montrent la curiosité et la docile admiration de tout le siècle tournées vers Virgile, Horace, Ovide, Lucain, Juvénal, Cicéron, Sénèque, vers tous les classiques.

[graphic]

Or, c'est dans ces écoles que les auteurs de nos romans courtois ont fait leur apprentissage et ils trouvèrent dans les cours royales et seigneuriales, où la culture avait plus ou moins profondément pénétré, un large accueil. Une demande importante, si l'on peut ainsi dire, venait des cours des diverses régions de la France, mais particulièrement des cours de l'Angleterre, où la curiosité et la générosité des seigneurs drai-,. naient une foule d'écrivains français. L'offre, de son côté, était abondante les charges et offices de l'Eglise ne suffisaient plus à absorber tous les clercs à leur sortie des écoles épiscopales ou abbatiales. Il y eut, semble-t-il, pléthore et crise. Beaucoup de ces clercs inemployés cherchèrent dans le monde laïque des moyens de tirer parti de leur

savoir.

:

Aux écoles, on leur avait révélé des maîtres, on leur avait enseigné des procédés, des recettes pour les imiter, pour les égaler peut-être. Ils s'y essaieront. Pillant Virgile, Ovide, Lucain, ils adapteront au goût de publics mondains les œuvres latines naguère inscrites à leurs programmes d'étudiants. Et ce sera l'image est de cette époquefestin de rois.

I.

[ocr errors]
[ocr errors]

Les romans imités de l'antiquité

Romans du cycle d'Alexandre. Le fragment qui nous reste du plus ancien de ces romans, celui d'Albéric, a été publié par Paul Meyer, Alexandre le Grand dans la littérature française du moyen âge, 2 vol., 1886. On trouvera dans cet ouvrage des analyses, des extraits et un classement de tous ces romans, dont plusieurs sont encore inédits. Celui de Lambert le Tort et de ses continuateurs a été publié par H. Michelant, les Romans d'Alexandre (t. XIII de la Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart), 1846.

[ocr errors]

Contes en vers tirés des Métamorphoses d'Ovide: Piramus et Tisbé, p. p. C. de Boer (collection des Classiques français du moyen âge), 1922; Narcissus, p. au t. IV, p. 143, du Recueil de fabliaux et contes de Barbazan et Méon, 1808; Philomena, poème de Chrétien de Troyes, p. p. C. de Boer, 1909. Ces poèmes appartiennent tous trois à la seconde moitié du XIIe siècle; on peut dater avec plus de précision, vers l'an 1165, le conte de Philomena.

Le Roman de Thèbes, p. p. Léopold Constans, 2 vol. (S. A. T.), 1890.

Le Roman d'Eneas, p. p. J.-J. Salverda de Grave, dans la Bibliotheca normannica, Halle, 1891.

Le Roman de Troie, p. p. Léopold Constans, 6 vol. (S.A. T.), 1904-1912.

Voir Edmond Faral, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du moyen âge, 1913.

Le cycle d'Alexandre le Grand. Au IIe siècle de notre ère, un romancier grec, le PseudoCallisthène, avait composé une histoire fabuleuse d'Alexandre le Grand. Elle fut traduite en latin, au IVe siècle, par un certain Julius Valerius, et cette traduction fut, à l'époque carolingienne, résumée en un Epitome. Quelque trois siècles plus tard, cet Epitome fut exploité par un poète, le premier, à notre connaissance, qui ait imaginé de célébrer en langue vulgaire des héros de l'Antiquité profane, comme d'autres autour de lui célébraient Charlemagne et les douze pairs.

Son poème sur Alexandre rappelle à bien des égards les chansons de geste : il est écrit, comme la Chanson de Gormond, en vers de huit syllabes, groupés par laisses monorimes. Le minnesinger Lamprecht, qui le traduisit en allemand vers l'an 1132, dit que l'auteur s'appelait Albéric

de Besançon cependant, vu les caractères méridionaux de son langage, que l'on croit être un dialecte dauphinois, on a conjecturé que son vrai nom devait être Albéric de Briançon.

Albéric dut composer son ouvrage à la fin du XIe siècle, dans les premières années du XIIe au plus tard l'ancêtre de nos romanciers courtois et l'auteur de la Chanson de Roland furent donc à peu près contemporains. Nous n'avons par malheur conservé qu'un fragment de son poème. Mais il se rencontra bientôt un rimeur poitevin pour le remanier en vers de dix syllabes; puis, plusieurs rimeurs de la fin du XIIe siècle et du début du XIIIe, entre autres Lambert le Tort de Châteaudun, Alexandre de Bernay (surnommé de Paris), Pierre de Saint-Cloud, entreprirent de renouveler et d'amplifier la version poitevine, tous choisissant, pour célébrer Alexandre, le vers de douze syllabes (qui, par l'effet de leur prédilection, reçut le nom d'«< alexandrin »). « Cet exemple sert à nous montrer la circulation facile et rapide que pouvaient avoir dès lors certaines œuvres littéraires : un poème composé en Dauphiné est refait et continué, dans l'espace d'un siècle environ, en Poitou, en pays chartrain, à Paris, en Beauvaisis, en Champagne; il est célèbre au XIIe siècle par toute la France; enfin, au XIVe siècle, des poètes wallons viendront encore y ajouter de nouvelles branches. » (G. Paris.)

(༥

Dans cette suite de romans, Alexandre est représenté surtout comme le type exemplaire d'une vertu, la largesse, que le moyen âge a exaltée presque à l'égal de la prouesse : il est le roi magnifique, prodigue envers ses barons, « large donneur ». Il est ainsi travesti, sans souci de la différence des temps, en seigneur féodal, par un jeu d'anachronismes qui reparaîtra dans tous les autres romans imités de l'antique et que c'est un contresens d'imputer, comme on le fait souvent, à l'ignorance et à la naïveté. Ce sont bien plutôt de spirituels procédés de transposition auxquels les excellents latinistes qui rimèrent ces romans recouraient à très bon escient: et quiconque prend plaisir au Troilus et Cressida de Shakespeare doit aussi en goûter chez eux la saveur.

Ce que les romans du cycle d'Alexandre ont fait pénétrer dans les imaginations françaises, c'est la lumière du merveilleux oriental, l'éblouissement des fables de l'hellénisme décadent. Pays étranges, terres où par magie les vaillants deviennent couards et les couards vaillants; palais de la reine Candace où resplendissent la pourpre, la soie, l'ivoire, les gemmes; palais du roi Porus, que parent une

[subsumed][ocr errors][merged small][merged small]

vigne d'or et d'émeraudes et des platanes d'or chargés de mélo- ( dieux oiseaux d'or et de rubis; flore et faune monstrueuses de l'Inde, sirènes, cynocéphales, amazones, filles-fleurs qui, au printemps, germent en foule de la terre, fontaine de Jouvence, pluies de feu, arbres dont le feuillage rend des oracles: toutes ces merveilles, ce sont les romans d'Alexandre qui les ont introduites chez nous. L'Historia de præliis, l'lter ad Paradisum. le Liber monstrorum, la Lettre à l'empereur Adrien, la Lettre du Prêtre Jean, d'autres récits encore, décrivaient la beauté et les prodiges de l'Orient : tous ces écrits latins furent exploités par nos romanciers et suscitèrent cent inventions rivales. La légende du héros macédonien, enrichie d'une foule de fictions éclatantes, agira sur les autres productions de la littérature narrative, chansons de geste de la seconde époque et romans d'aventure.

Au XIVe siècle encore, de longs romans, les Voeux du Paon de Jacques de Longuyon (1315), puis le Restor du Paon de Jean Brisebarre de Douai, puis le Parfait du Paon de Jean de le Mote viendront enrichir le cycle et célébreront en Alexandre l'un des Neuf Preux, le plus somptueux des neuf et le plus digne de symboliser l'esprit de magnificence qui régnait alors dans les cours.

[graphic]

infi prioit Irlenushimer Jatustere auere et les gens toute famelgie femor er anfe culs

LE ROMAN DE TROIE. Pâris et Hélène font leur entrée à Troie (B. N., fonds français, 301).

[ocr errors]

Les romans de Thèbes, d'Eneas, de Troie. Après le poème d'Albéric, le plus ancien des poèmes imités de l'Antiquité est le Roman de Thèbes. Il date de l'an 1150 environ. L'auteur, dont le nom nous est inconnu, a pris pour modèle la Thébaïde de Stace, livre très lu dans les écoles. Il l'a d'ailleurs interprétée librement, taillant et rognant selon sa fantaisie, et l'enrichissant aussi par des procédés qui feront fortune après lui. Il l'agrémente d'épisodes, batailles, conseils de princes, ambassades, éloges funèbres, ruses de guerre, qu'il imagine à l'imitation des chansons de geste ou de certaines chroniques des croisades. Il se plaît à composer des portraits, pour lesquels il use d'une formule invariable, qui consiste à énumérer dans un ordre constant et selon un canon établi une fois pour toutes les perfections physiques de ses personnages: trait curieux, parce qu'il applique ici une règle d'école, à laquelle tous les autres romanciers vont désormais se soumettre. Il se plaît aussi à décrire des objets matériels ou des animaux, et à orner ses descriptions d'éléments merveilleux qu'il va chercher dans les écrits les plus divers, chez Ovide, dans l'Ilias latina (abrégé de l'Iliade dont le moyen âge fut forcé de se contenter), chez Pline, chez Solin. Surtout il s'ingénie, bien que la tragique histoire des Labdacides ne s'y prêtât guère, à parler d'amour il invente de toutes pièces un épisode gracieux où Parthénopée s'éprend d'Antigone, la requiert d'amour et l'obtient de sa mère; il transforme la scène désolée de la Thébaïde, où, à la mort d'Aton, Ismène pleure avec Antigone sur l'atroce destinée. de leur famille, en une conversation toute consacrée aux soucis amoureux des deux sœurs; et ainsi, souple, ingénieux, ce poète a su, dans le sombre poème latin, tailler une place pour l'aventure sentimentale.

Une dizaine d'années plus tard, vers l'an 1160, un autre poète traita Virgile comme Stace venait d'être traité. Clerc tout imbu des doctrines de l'école, habile à dessiner des portraits selon les formules enseignées, rompu à tous les procédés de la rhétorique, l'auteur du Roman d'Eneas imite excellemment l'auteur du Roman de Thèbes. Il adopte le mètre nouveau, l'octosyllabe rimant à rimes plates, inauguré par son devancier; il hérite de sa poétique, il enchérit encore sur son goût de la description et sur son érudition. C'est ainsi que, avide de merveilleux, il introduit en son renouvellement de l'Enéide des animaux fantastiques, comme ces oiseaux calades qui prédisent aux malades leur guérison ou leur mort; comme ces chevaux marins, nés de cavales fécondées par le vent, qu'il attelle au char de Messapus : il a fouillé, pour les découvrir, les commentateurs de Virgile et les anciens mythologues, de même qu'il a recouru aux traités latins qui décrivent les monuments de Rome ou les Sept merveilles du monde pour bâtir le Capitole de Carthage, édifice si sonore qu'on n'y pouvait parler sans LITTER. FRANC.

I

être entendu de toute la terre; ou le tombeau de Camille: ce tombeau prodigieux, qui repose sur une colonne unique, est fait d'étages qui débordent les uns sur les autres et qui s'évasent; des lampes inextinguibles y brûlent; des automates s'y meuvent et semblent vivre ; un miroir magique le surmonte, qui se tourne de lui-même vers toute région où menace une révolte contre Rome et qui reflète, de si loin qu'elles viennent, les armées des rebelles. Notre poète suit encore, il va sans dire, son maître, l'auteur du Roman de Thèbes, en ce qu'il recherche avec la même prédilection les scènes d'amour. Il a largement amplifié l'histoire de Didon, et tandis que Virgile se contente d'annoncer le mariage d'Enée avec Lavinie, il n'a pas manqué de composer à ce sujet un épisode de seize cents vers. Son originalité, dans ces << farcissures », consiste à associer ingénieusement Ovide à Virgile. Avant lui déjà l'auteur du petit poème de Piramus et Tisbé avait introduit Ovide dans les cercles courtois, bientôt suivi par les auteurs du poème de Philomena et du poème de Narcissus : il n'y eut pas au XIIe siècle un classique plus lu, plus admiré, plus imité, en latin et en français, que l'auteur de l'Art d'aimer, des Remèdes d'Amour, des Métamorphoses, des Héroïdes. Mais le poète d'Eneas l'a exploité avec une ingéniosité supérieure, et sa manière large, aisée, abondante, s'imposa. Il devint en quelque sorte le législateur d'un genre nouveau désormais, dans tous les romans courtois, il sera de règle que les amants, inspirés par Ovide et par lui, décrivent, en de longs monologues intimes, leurs sentiments, débattent des problèmes de casuistique amoureuse, et, travaillés par l'insomnie et la fièvre, discourent sur le dieu d'Amour, sur la douceur ou sur la cruauté de ses lois, sur ses flèches d'or qui font aimer, sur ses flèches de plomb qui font haïr.

Vers 1165, Benoît de Sainte-Maure composa son Roman de Troie. Il utilisait le De excidio Troja, attribué à un Phrygien, le pseudoDarès, puis (à partir du vers 24 425) l'Ephemeris belli Trojani attribuée à un Crétois, le pseudo-Dictys: le Phrygien et le Crétois étaient censés avoir vu de leurs yeux les événements, l'un comme assiégé, l'autre comme assiégeant. Ces guides n'offraient à Benoît de Sainte-Maure qu'une courte et sèche narration: il l'a développée en 30000 octosyllabes. Son ouvrage n'est d'ailleurs qu'une coulée de plus dans un moule déjà tout façonné, celui qu'avaient construit les auteurs des romans de Thèbes et d'Eneas. C'est à leur exemple qu'il multiplie les épisodes galants amours de Jason et de Médée, de Diomède et de Briséis, d'Achille et de Polyxène; à leur exemple aussi qu'il emprunte à toutes sortes de livres des ingrédients pour ses

[graphic]

:

limbler plaifant argarders

[graphic]

aute image qu fus le tiere
piler cftoit affis qm fut en

tmillies dune nde pienr qmoplane

LE ROMAN DE TROIE.-Hector, blessé au visage, est soigné dans une chambre d'albâtre, dite la « chambre de beautés », que parent quatre statues animées et enchantées. Andromaque le maintient assis, tandis qu'un médecin le panse. Au pied de son lit, sa sœur Polyxène et dame Hélène : « Assez en ont souvent parlé Laquel en tienent a plus bele Ou dame Heleine ou la pucele. » (B. N., fonds français, 301).

[ocr errors]

2.

« PoprzedniaDalej »